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Le cinéma de Jean Pierre Lefebvre

Publié le 24 septembre 2025

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Jean Pierre Lefebvre
Jean Pierre Lefebvre pendant le tournage de La chambre blanche (1969)

Cette année, Éléphant et le Festival du nouveau cinéma rendront hommage à Jean Pierre Lefebvre, un des cinéastes québécois les plus inspirants de notre histoire qui a été particulièrement prolifique dans les années 60 et 70.  Le FNC offrira ainsi sa Louve d’honneur à ce grand homme de cinéma qui a réalisé 27 longs métrages au cours de sa carrière.

Afin de souligner l’exceptionnelle contribution de Jean Pierre Lefebvre au cinéma québécois, Éléphant vous propose un dossier spécial qui lui est consacré.

Vous trouverez plus bas deux entrevues qu’il nous a accordées en 2010 : une entrevue vidéo dans laquelle il nous raconte d’où vient sa passion du cinéma, et une entrevue par écrit dans laquelle il approfondit sa réflexion sur son œuvre.  

Nous avons également dressé la liste des 11 longs métrages restaurés de Jean Pierre Lefebvre qui font partie de notre répertoire et qui sont disponibles sur notre site web, sur les plateformes de Vidéotron et sur l’app Apple TV. À noter que Mon œil, présenté en première au FNC, s’ajoutera à cette sélection d’ici la fin de l’année.

Enfin, vous pouvez aussi consulter sa filmographie complète (longs métrages de fiction uniquement).

À PROPOS DE JEAN PIERRE LEFEBVRE

Figure importante du cinéma québécois, Jean Pierre Lefebvre est un cinéaste prolifique qui s'est investi au cours de sa carrière dans toutes les sphères de la production cinématographique. Acteur, scénariste, réalisateur et producteur, il a donné naissance à près de 30 longs métrages, dont une vingtaine entre 1964 et 1984; onze d'entre eux ont été présentés au Festival de Cannes dans différentes sections. Les fleurs sauvages a même remporté le prix FIPRESCI (prix de la Critique internationale) en 1982.

En 1995, il a reçu le prix Albert-Tessier pour l'ensemble de sa carrière, la plus haute distinction accordée au Québec à une personne dans le domaine du cinéma. En 1997, il a remporté le Prix Lumières de l'Association de réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ). Président de l'ARRQ de 2002 à 2010, l'homme derrière Les dernières fiançailles et Il ne faut pas mourir pour ça a toujours eu à coeur de défendre les revendications de ses collègues réalisateurs et est un grand militant d'un cinéma de création, libre de considérations commerciales. En 2013, il a reçu le PGGAS (Prix du gouverneur général pour les arts du spectacle) de la réalisation artistique - cinéma.

Cinéaste indépendant par excellence, Jean Pierre Lefebvre a rapidement fondé à la fin des années 60 ses propres compagnies de production afin d'éviter toute forme de compromis sur ses oeuvres. Selon ses dires, le plaisir et l'urgence sont les deux pivots qui nourrissent sa démarche créative. Beaucoup de ses films ont été tournés avec peu de moyens, dans des décors naturels, obéissant  à une volonté de créer et de véhiculer des images suscitant l'émotion dans un contexte et une esthétique souvent minimalistes.

Tout au cours de sa carrière, Lefebvre dépeint l'intimité des êtres humains, leurs valeurs ainsi que les rapports comportementaux et idéologiques qu'ils entretiennent avec une société en mouvement à laquelle ils doivent s'adapter constamment.

Son regard est lucide et ses images perméables au contexte social dans lequel elles ont été tournées. On sent dans ses films l'influence du climat médiatique et politique sur les comportements canadiens-français. Abordant autant le bonheur que la misère, le cinéma de Jean Pierre Lefebvre est avant tout profondément humain.  

ENTREVUE ÉCRITE 

Pascal Laplante – Éléphant – 10 juin 2010

 Éléphant: Si je ne me trompe pas, vous avez écrit le scénario de tous les longs métrages que vous avez réalisés. Quelles sont vos plus grandes sources d'inspiration pour vos films?

JPL: J'ai écrit la plupart de mes scénarios, oui, mais j'en ai également coécrit quelques uns : Il ne faut pas mourir pour çaLe vieux pays où Rimbaud est mortAvoir 16 ansLe jour S et Aujourd'hui ou jamais.
 
L'inspiration? C'est la goutte qui fait déborder le vase de la vie et de la mémoire. Une toute petite goutte qui le plus souvent provient d'un hasard, d'une coïncidence, d'une odeur, d'une colère, d'un coup de foudre, d'un fait divers, d'un souvenir ardent ou triste, ou de la rencontre de quelqu'un de plus grand que nature, tel Marcel Sabourin, en 1965, qui m'a inspiré Il ne faut pas mourir pour ça.

Éléphant: Êtes-vous souvent animé, comme dans Q-bec my love, par le besoin de réagir à une réalité politique ou sociale?

JPL: Je l'ai toujours été. Dès mon premier long métrage, Le révolutionnairePatricia et Jean-Baptiste, mon second, est pour sa part dédié «à mes ancêtres issus de l'Almanach du peuple»! Dans le fond, je crois que tous mes films énoncent ou dénoncent une réalité politique et sociale, parce que seule la culture m'importe. La culture c'est l'identité de l'individu et de la collectivité. Et la culture est souvent menacée par le politique, pour sa part menacé par l'économie toute puissante.

Éléphant: J'ai lu à votre sujet que vous ne croyiez pas à l'oeuvre unique, mais à la continuité des oeuvres. Comment décririez-vous la continuité qui se trouve dans votre travail?

JPL: Chacun de mes vingt-sept longs métrages est un geste précis posé à un moment précis pour des raisons précises. Ce pourquoi je n'en ai pas de préférés : je les aime tous comme j'aime tous les moments, douloureux ou délicieux, de ma vie et de celles et ceux qui m'entourent, moments dont mes films sont d'ailleurs les témoins.
 
Ce qui peut-être unit mes films c'est la recherche d'identité et d'authenticité (la vérité, je ne sais pas ce que c'est). Je n'ai jamais voulu «faire carrière», mais simplement raconter des histoires d'ici avec les moyens d'ici.

Éléphant: On retrouve le personnage d'Abel, interprété par Marcel Sabourin, dans trois de vos films qui couvrent une période de 31 ans (Il ne faut pas mourir pour ça en 1967, Le vieux pays où Rimbaud est mort en1977 et Aujourd'hui ou jamais en1998).
Que représentent ce personnage et cette trilogie pour vous?

JPL: Comme je viens de le dire, c'est Marcel qui m'a inspiré le personnage d'Abel. Marcel-Abel, quand je les ai rencontrés, et depuis que je les connais, représentent le Québec. Le Québec au présent rêveur et maternel (Mourir), le Québec qui doit redécouvrir son passé, ses ancêtres (Le vieux pays), et, enfin, le Québec qui doit renouer avec le Père (Aujourd'hui ou jamais) pour assurer son futur.
 
L'idée de la trilogie s'est imposée dès le tournage de Il ne faut pas mourir pour ça en 1966.

Éléphant: On sait à quel point vous croyez au cinéma d'auteur, qui constitue les racines du cinéma québécois. Pensez-vous que le cinéma indépendant a de belles années devant lui?

JPL: Le cinéma québécois indépendant, documentaire ou de fiction, restera toujours le cinéma fondateur de la cinématographie québécoise et l'une des sources vives qui alimentent notre culture et notre identité, culture et identité qui l'alimentent à leur tour; c'est pourquoi le cinéma indépendant s'ouvre de plus en plus à des valeurs autres que celles de la «culture canadienne-française catholique» tandis que le cinéma québécois dit commercial n'en sort pas. En ce sens, le cinéma québécois indépendant est garant, d'une certaine manière, de notre survie collective.
 
Le cinéma indépendant est même plus vigoureux que jamais, bien que les feux des projecteurs soient généralement braqués sur le cinéma commercial (qui malgré les illusions que l'on entretient ne l'est pas vraiment), malgré les rudes vents et marées qu'on lui oppose, et malgré l'incurie des télédiffuseurs.

Éléphant: Grâce au projet Éléphant, plusieurs de vos films, ainsi que ceux de vos contemporains, sont maintenant disponibles en tout temps sur illico. Quel effet cela vous fait de savoir que vos oeuvres ont été restaurées et que les nouvelles générations y ont maintenant facilement accès? (À noter qu'en 2010, les films n'étaient offerts que sur illico. Ils sont aujourd'hui aussi offerts sur notre site web et sur Apple TV)

JPL: Cela permet, enfin!, la continuité qui m'obsède tant et corrige en partie l'incurie dont je viens de parler (en partie parce que, par exemple, là où je vis à la campagne, je n'ai pas accès à Illico), de même que l'incurie des gouvernements fédéral et provincial qui malgré d'incessantes promesses depuis vingt-cinq ans ont failli à la tâche de préserver la mémoire vivante de notre cinématographie.
 
Le croirez-vous? J'ai réalisé vingt-sept longs métrages et seuls les deux produits par l'ONF, Mon amie Pierrette et Jusqu'au coeur, sont disponibles en dvd! Pour la plupart, mes films n'existent donc que dans la mémoire des gens de plus de cinquante ans, sinon sur certaines cassettes VHS infectes qui circulent encore dans les Cégeps et universités... De tout coeur merci Éléphant.
 
(Me vient une idée. On devrait prélever un % sur la production de tout film, de toute émission de télé et de toute oeuvre audiovisuelle dans tous les formats connus, inconnus et à inventer, afin de créer un fonds pour la restauration, la préservation et la diffusion du patrimoine cinématographique québécois. Après tout, on prélève bien un % sur l'achat de nouveaux pneus pour le recyclage des vieux...).

Éléphant: En terminant, par lequel ou lesquels de vos films suggéreriez-vous à un cinéphile qui ne vous connaît pas de commencer pour s'initier à votre oeuvre?

JPL: Les dernières fiançailles et Les fleurs sauvages ont été mes films les plus mondialement diffusés et acclamés (hé oui, on ne le sait pas mais c'est vrai). Mon amie Pierrette et Patricia et Jean-Baptiste sont bien de chez nous et drôles... La trilogie d'Abel, soit Il ne faut pas mourir pour çaLe vieux pays où Rimbaud est mort et Aujourd'hui ou jamais, se déguste en douceur et avec beaucoup d'humour... Les maudits sauvages est devenu un film-fétiche avec le temps... Le temps qui d'ailleurs est toujours l'un des personnages de mes films... Le temps qu'il faut prendre pour ne pas voir le temps nous filer entre les doigts... Le temps qu'il faut prendre pour avoir conscience que nous vivons... Je les aime tous, mes films, je vous l'ai dit. Sur le lot, il y en aura bien un qui saura vous toucher... C'est la raison pour laquelle j'en ai tant fait.

Les films de Jean Pierre Lefebvre numérisés, restaurés et disponibles